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COMÉDIE.

Ernold.

Qu’avons-nous donc à faire ici ? Quel est ce Monsieur ?

Bonfil.

C’est monsieur Majer, le premier Officier du Secrétaire d’État.

    Oubliez vos soupçons, j’oublierai ma disgrace :
    L’amour a fait nos maux, que l’amour les efface.

    Bonfil.

    Et voilà donc le cœur que j’osai soupçonner !
    Que mes lâches fureurs… Tu peux me pardonner ;
    Il n’est point de vertu, dont tu ne sois capable.

    Auspingh.

    Ce moment adoucit mon destin déplorable ;
    Et je pars…

    Bonfil.

    Et je parsDemeurez auprès de vos enfans ;
    Espérez tout encore ; oui, nos efforts constans…

    Auspingh.

    J’ai souffert le mépris ! la pitié dédaigneuse !
    On me laisse par grace une vie odieuse,
    Dont mes mains à l’instant auraient tranché le cours…

    Paméla.

    Ah ! mon père ! vivez ! j’ai besoin de vos jours !

    Bonfil.

    De nous poursuivre enfin la fortune est lassée,
    Chère épouse ; et bientôt sa grâce…


    Scène VIII.

    Les Mêmes, Mylord ARTUR
    Artur.

    Chère épouse; et bientôt sa grâceEst prononcée :
    La voilà.

    Auspingh.

    Juste Ciel !

    Paméla.

    Juste cielMon père !

    Bonfil.

    Juste ciel ! Mon pèreJour heureux !
    C’est à vous que je dois… !

    Auspingh.

    C’est à vous que je doisAmi trop généreux
    Comment avez-vous pu, quand tout m’était contraire…

    Artur (à Auspingh.)

    On avait contre vous aigri le Ministère.

    (À Bonfil.)

    Des ennemis cruels, et qui vous sont connus,
    Avaient empoisonné les esprits prévenus
    De rapports odieux, d’impostures affreuses,
    Mais j’ai su démêler leurs trames ténébreuses,
    Exposer leur noirceur et leur atrocité :
    J’ai fait, dans tout son jour, briller la vérité :
    L’éclat d’un nom, jadis fameux dans l’Angleterre ;
    La majesté de l’âge et son grand caractère,
    Et le Ciel, qui sans doute au gré de ses desseins,
    Touche et fléchit le cœur des mobiles humains,
    Tout répond à mes vœux, tout seconde mon zèle,
    Et je viens apporter cette heureuse nouvelle.

    Auspingh.

    Ah ! nos cœurs pourront-ils reconnaître jamais…

    Artur.

    Le plaisir de bien faire est le prix des bienfaits.

    Bonfil (à Artur.)

    Digne ami ! jusqu’à vous puis-je élever ma vue
    Désormais je rougis, et mon ame éperdue
    Si coupable envers vous…

    Artur.

    Si coupable envers vousQue tout soit oublié.

    (Lui donnant sa main.)

    Ne vous souvenez plus que de mon amitié.

    Bonfil.

    Ah ! d’un semblable trait vous seul êtes capable,