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COMÉDIE.

Myladi.

Mylord, me voilà ; que me commandez-vous !

Bonfil.

Myladi, asseyez-vous. Sir Ernold, prenez place.

    Et, rebelle à la voix qui s’offrait à l’instruire,
    Par de lâches conseils il s’est laissé séduire.

    Bonfil.

    Et vous osez encore… ! Eh bien ! détruisez donc

    (Il sort la lettre de sa poche.) (Avec sensibilité.)

    Cette preuve terrible… ! et bientôt ton pardon…

    Paméla.

    Quelle est-elle ?

    Auspingh.

    Quelle est-elleVoyons.

    Bonfil.

    Quelle est-elle ? VoyonsJ’ai de quoi la confondre.

    Auspingh (à sa fille.)

    Qu’ai-je entendu !

    Bonfil (lui donnant la lettre.)

    Qu’ai-je entenduLisez ; qu’elle puisse répondre,
    C’est tout ce que j’attends, c’est tout ce que je veux.
    Le Ciel m’en est témoin : le plus cher de mes vœux
    Serait de n’avoir cru qu’une fausse apparence.

    Paméla (avec un cri de joie, en reconnaissant sa lettre.)

    Je te rends grâce, ô ciel ! appui de l’innocence !
    Tu me rends et l’estime et le cœur d’un époux !

    (À Bonfil.)

    Connaissez votre erreur.

    Auspingh.

    Connaissez votre erreurComment !

    Bonfil.

    Connaissez votre erreur. CommentQue dites-vous !

    Paméla (à son père.)

    Vous savez l’intérêt et généreux et tendre
    Qu’à votre triste sort lord Artur daignait prendre.
    Votre grâce, mon père, éprouvait des délais :
    Je confie à Mylord d’aussi chers intérêts ;

    Sur le point de partir, je retrace à son zèle
    Mes craintes, mes ennuis et ma douleur mortelle.
    Sa bonté, son crédit, tout me justifiait,
    Et c’est le seul motif qui dicta ce billet.
    Pouvais-je présumer que le sort qui m’outrage,
    Dût en faire, aujourd’hui, l’instrument de sa rage !
    J’écrivais à Mylord. (Elle lit.)

    « Vous n’ignorez pas que je laisse à Londres la plus chère partie de moi-mème.

    (À Bonfil.)

    J’écrivais à MylordPardonnez, cher époux,
    Si, malgré tout l’amour qui m’enflamme pour vous,
    Un autre sentiment vit encor dans mon ame :
    N’en soyez point jaloux ; un père le réclame,

    (Elle reprend sa lecture.)

     » Tout mon espoir, toute ma consolation… »

    Bonfil (l’interrompant.)

    C’est assez ; épargnez à mes sens déchirés
    Le tourment des remords qui me sont préparés.
    C’est moi qui suis un monstre, un ingrat, un parjure :
    L’opprobre des humains, l’effroi de la nature !
    Ah ! devais-je écouter des ennemis jaloux…
    Que tu dois me haïr !

    Paméla (avec douceur.)

    Que tu dois me haïrMoi, haïr mon époux !
    Je l’aime, je le plains ; (elle lui tend la main) et voilà ma vengeance.

    Bonfil (hors de lui.)

    Eh bien moi, je m’abhorre ; et plus ton innocence
    Éclate à tous les yeux et confond ma fureur,
    Plus je dois me haïr, plus je me fais horreur.

    Paméla.

    Ah ! cessez, cher époux, de tenir ce langage !
    Il déchire mon cœur, il m’afflige, il m’outrage
    Plus cent fois que l’erreur dont je vous vois gémir.
    Écartons l’un et l’autre un fâcheux souvenir :