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COMÉDIE.

jour en jour. C’est une peine pour lui, que de s’éloigner de moi ; et moi, je le voudrais voir sans cesse à mes côtés. Mais je suis assiégée d’une foule de visites ; étourdie d’un tas de vains complimens. Plus d’une heure avant mon lever, l’antichambre se remplit de gens oisifs, qui, sous le prétexte honnête de me venir souhaiter le bon jour, viennent me fatiguer de leur présence. La bienséance veut que je les reçoive, et il faut, pour cela, que je me sépare de mon époux. Il me faut perdre des heures précieuses à m’ennuyer dans un cercle ; et si je témoigne quelque empressement à me retirer la gravité anglaise se déride, et trouve, dans ma conduite, la matière de quelques mauvaises plaisanteries. Plus tard, arrivent les Dames accompagnées de leurs Chevaliers : je n’en ai vu aucune encore se présenter avec son époux. On dirait qu’ils rougissent en public du nœud qui les rassemble. Mylord lui-même, Mylord qui a tant d’amour pour moi, craint également de s’exposer aux traits du ridicule s’il sort avec moi, ou s’il se trouve avec moi dans un cercle. Il faut que j’aille sans lui à la promenade ; deux fois déjà j’ai été au spectacle, privée de son aimable compagnie. Un tel genre de vie ne peut ni me plaire, ni me convenir. Je ne me suis point mariée pour jouir de ma liberté, mais pour trouver le bonheur dans la plus douce des chaînes ; et s’il est impossible de vivre à son gré dans une grande ville, je soupire après les douceurs de la retraite, et je préfère aux prétendus agrémens d’une vie tumultueuse, la compagnie de mon cher époux.

    Dans la retraite, au moins, et dans la paix des champs,
    Rien ne blesse les yeux, rien n’émousse les sens.
    Là, mes soins les plus doux, mon plus aimable ouvrage,
    Seront de gouverner mon paisible ménage,
    De cultiver mon cœur, de plaire à mon époux ;
    Et voilà les plaisirs dont ce cœur est jaloux.

    (Acte Ier, Sc. Ire)