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COMÉDIE.

ACTE III.


Scène PREMIÈRE

Mylord BONFIL, ensuite ISAC.
Bonfil (seul.)


Non, je n’ai jamais éprouvé les tourmens qui me déchirent aujourd’hui. Ah ! qu’il eût mieux valu cent fois qu’Artur me prévint, et m’arrachât la vie… ! [1] Je me rappelle mes premières liaisons avec l’ingrate ; je me retrace les transports amoureux, les ennuis inquiets, les combats de mon cœur ; mais rien de tout cela ne se peut comparer aux fureurs qui m’agitent à présent. Il s’agissait alors de consoler mon cœur :

  1. Avec quelle douceur et quel enchantement
    Je me rappelle encor ce fortuné moment,
    Où sa bouche timide et pleine de sa flamme,
    M’apprenait, en tremblant, les secrets de son ame !
    De ses premiers discours la modeste candeur,
    Et son front, coloré d’une aimable pudeur
    Se retracent encore à mon ame attendrie… !
    (*) Et tout cela finit par une perfidie !
    Et je n’ai plus, du moins, la funeste douceur
    De pouvoir, un instant, douter de mon malheur !
    Oui ; tout est avéré : cette lettre coupable,
    De leur lâche complot monument exécrable ;
    Leurs entretiens secrets, leur dépit, leur courroux,
    Quand le hasard m’offrit à leurs regards jaloux,
    Tout prouve leur forfait, tout prouve mon offense
    Tout sur sa tête enfin appelle ma vengeance…
    Ingrate Paméla ! tu l’as voulu ! c’est toi
    Oui romps tous nos sermens, qui dégages ta foi ;
    C’est toi qui, repoussant mon cœur et ma tendresse,
    (**) Qui, fausse avec douceur, perfide avec bassesse,
    As du plus saint des nœuds souillé la pureté,
    Et provoqué l’arrêt que ma haine a porté…
    La haine ! mot affreux ! quelle horreur il fait naître !
    L’ai-je pu prononcer ! devais-je le connaître !
    Moi, qui, né pour aimer, avait cru rencontrer
    Un cœur tel que le mien le devait espérer !
    Mais, c’est trop m’occuper d’une épouse infidelle.
    Puisque ce jour enfin va me séparer d’elle,
    Je la veux oublier ; je veux que ses attraits
    De ce cœur indigné s’effacent pour jamais, etc.

    (Paméla mariée, Acte V, Sc. II.)

    (*) Tout cela finirait par une perfidie !
    (Racine, dans Bajazės.)

    (**) Tranquille dans le crime, et fausse avez douceur.
    (Voltaire, Zaïre.)