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COMÉDIE.

Longman.

Il n’en fera rien : mais, en supposant qu’il le fit… Pamela ! je vous aime encore… Malheureux ! J’oubliais que vous étiez comtesse. Pardonnez ; mais je vous ai voulu, et je vous voudrai toujours du bien… Mon Dieu ! si Mylord me trouvait ici ! Je m’en vais… Dans le peu que je puis, comptez toujours sur moi. (Il sort.)


Scène XIII.

Myladi PAMÉLA, ensuite le Comte d’AUSPINGH.
Paméla (seule.)


Hélas ! ils m’aiment tous ; mon époux seul me hait ! Pour quelle faute, grand Dieu, me punissez-vous donc si sévèrement ? Peut-être ai-je reçu avec trop d’orgueil la faveur que m’a offerte la Providence…… Je ne le crois cependant pas. Ai-je été ingrate envers le Ciel pour tant de bienfaits ? ai-je mal répondu à ma fortune ?… Où vais-je chercher, hélas ! les causes de mon malheur ! Celui qui préside au destin du monde les connaît seul, et il ne nous est pas permis de pénétrer dans les secrets d’en haut. Oui, j’en suis bien sure ; l’Éternel en m’affligeant de la sorte, ou me punit de mes fautes, ou m’offre une occasion heureuse de mériter une récompense plus grande.

Le Comte[1].

Ô ma fille ! soutiens moi… La douleur m’accable…

  1. Auspingh.

    Ma chère Paméla,
    Que vient-on de m’apprendre ! Ah ! j’en frémis encore.
    Fuyons ; éloignons-nous d’un séjour que j’abhorre,
    Depuis que ta vertu que l’on ose insulter,
    S’y voit……

    Paméla.

    C’est pour cela que je veux y rester.
    C’est ici que je dois vaincre la calomnie ;
    Et je n’en puis sortir, que vengée, ou punie.

    Auspingh.

    Quel affront !

    Paméla.

    Quel affrontLe malheur s’attache sur mes pas :
    Mais on me persécute ; on ne m’avilit pas.
    La haine des méchans n’a rien que je redoute :
    Mon cœur est innocent.

    Auspingh.

    Mon cœur est innocentEh ! crois-tu que j’en doute !
    Je te connais trop bien, pour que j’ajoute foi
    Aux bruits calomnieux parvenus jusqu’à moi.
    Mais, avant que l’on fasse éclater l’innocence,
    Le public abusé, juge sur l’apparence,
    Condamne sans motif, et proscrit sans retour.
    Blanchi dans les revers jusqu’à ce triste jour,
    J’ai pu voir, sans pâlir, la haine et la vengeance
    Unir tous leurs efforts contre mon existence :
    Pour dérober ma tête à leur lâche fureur
    J’ai pu, jusqu’à la fuite, humilier mon cœur ;
    Dans l’horreur des déserts ensevelir ma vie,
    Supporter tout enfin, excepté l’infamie.

    Paméla.

    Eh ! qui pourrait survivre à l’honneur ! Non, jamais.

    Auspingh.

    La honte, je le sais, n’est que dans les forfaits,
    Et non pas dans ce bruit frivole ou téméraire,
    Qui fait l’opinion d’un stupide vulgaire.
    Mais, une fois flétri par ce juge insensé,
    L’on n’examine plus ; l’arrêt est prononcé…
    Il faut le prévenir, et que la calomnie
    Tombe aux pieds des vertus, écrasée et punie.

    Paméla.

    Aux volontés du Ciel il faut se résigner,

    Auspingh.

    Le Ciel même nous dit de ne point épargner
    Les méchans ; et voilà sa volonté suprême.

    Paméla.

    Que résoudre ? que faire en ce désordre extrême ?

    Auspingh.

    Tenter tous les moyens que nous laissent les lois
    Pour soutenir l’honneur, et pour venger ses droits,

    Paméla.

    Et qui peut désormais embrasser ma défense ?
    Mon époux m’interdit jusques à sa présence ;