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COMÉDIE.

Longman.

S’en est tiré à ravir.

Myladi.

Comment cela s’est-il donc passé ?

Longman[1].

Écoutez : c’est une vraie comédie.

Monsieur et mylord Artur avaient ensemble une petite altercation : le chevalier Ernold se présente en troisième, et la querelle s’échauffe de nouveau. Les deux premiers en seraient volontiers venus aux mains ; mais ils craignaient de braver les défenses rigoureuses qui existent dans ce royaume. L’imprudent chevalier qui n’a recueilli, dans ses voyages, que les coutumes les plus mauvaises, les défie au pistolet. Le sort le désigne pour se battre le premier avec mylord Artur ; ils se placent à la distance convenue : Ernold tire ; mais son arme le trahit. Mylord Artur court sur lui, et lui met le pistolet sur la poitrine. Un tant soit peu déconcerté, le chevalier prétendait avoir le droit de prendre un autre pistolet : mylord Artur soutenait de son côté, qu’il était maître de sa vie ; et mylord Bonfil, quoiqu’en différend avec Artur, lui donna gain

  1. L’auteur français met ce récit dans la bouche de madame Jeffre, et y change quelques circonstances.

    Mon maître et lord Artur, respirant la vengeance,
    S’éloignaient de ces lieux dans un morne silence,
    Quand sir Ernold les joint, et, d’un ton courroucé,
    Réclame hautement le droit de l’offensé,
    Reproche à lord Artur son attente trompée,
    Lui propose à l’instant le pistolet, l’épée,
    Ou telle arme, en un mot, qu’il lui plaira choisir.
    Mylord, sans balancer, se rend à son désir :
    La distance est marquée, on s’éloigne ; Ernold tire :
    Mais son bras tremble, hésite, et sa bravoure expire,
    Et le coup, au hasard, s’égare dans les airs.
    Lord Artur fond sur lui, plus prompt que les éclairs :
    Je suis, vous le voyez, maître de votre vie,
    Dit-il ; mais je pardonne à votre étourderie :
    Mon honneur est vengé, c’est tout ce qu’il fallait.
    Il dit, et lâche en l’air son coup de pistolet.
    Cependant sir Ernold, qui sans doute en voyage,
    A fait preuve de tout, excepté de courage,
    Humilié, confus, et d’effroi tout tremblant,
    Ne sait pas bien encor s’il est mort ou vivant.
    C’est à moi maintenant que vous avez affaire,
    Dit votre époux alors ; et déjà la colère
    Fait briller dans ses mains un homicide acier ;
    Et tout plein d’un courroux qu’il veut justifier,
    Il n’écoute, il ne suit rien qu’une aveugle rage :
    Tandis que, maîtrisant son tranquille courage,
    Et d’un coup-d’œil plus sûr dirigeant tous ses coups,
    Mylord, du premier choc, désarme votre époux,
    Sou épée, en éclats, vole au loin sur l’arêne.
    Soudain mylord Artur lui présente la sienne,
    Et d’un ton noble et fier qui n’appartient qu’à lui ;
    Percez, si vous l’osez, le sein de votre ami,
    Dit-il. À ce discours, bien fait pour le confondre,
    Bonfil anéanti cherche en vain à répondre.
    Sans ajouter un mot, Mylord s’est retiré ;
    Et votre époux, après avoir pesté, juré,
    Maudit vingt fois le jour, rentre dans l’instant même.

    (Paméla mariée, Acte IV, Sc. V.)