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COMÉDIE.

Myladi.

J’apprends à l’instant de grandes choses de vous, Madame !

Paméla.

Ah ! ma chère sœur !…

Myladi.

Dispensez-moi d’un titre que je ne daigne plus recevoir de vous. Il m’eût flattée davantage de la part de Paméla simple villageoise, que de celle de Paméla déshonorée par sa conduite. Le sort avait été juste à votre égard, en vous plaçant dans la classe servile, et ne vous a élevée au rang de la noblesse, que pour punir votre hypocrisie avec plus d’éclat.

Paméla[1].

Ce n’est point l’équité, Madame, qui dicte ce discours, mais la malveillance que vous n’avez cessé de nourrir contre moi. Dès l’instant que vous m’avez trouvée rebelle à vos ordres, vous avez juré de me haïr et de vous venger ; et le baiser que vous m’avez donné, quand le ciel a daigné changer mon sort, ne fut que le jeu méprisable d’une politique intéressée. Vous avez déguisé votre haine, parce qu’il ne vous a point réussi de la manifester : pour la satisfaire aujourd’hui, vous vous prévalez de mes disgraces ; et unie peut-être à votre imprudent neveu, vous dénaturez le cœur de mon époux, et conspirez ma ruine. Ne croyez point, malgré

  1. De ce discours cruel, dicté par l’injustice,
    Je démêle aisément le coupable artifice,
    Madame ; dès long-temps, je ne l’ignore pas,
    Votre haine assidue environne mes pas,
    Épie avidement l’instant de ma ruine.
    De cet ardent courroux quel est donc l’origine ?
    J’ai bravé, dans un temps, vos ordres ; je l’ai dû,
    Quand leur objet était de flétrir la vertu.
    Votre imprudent neveu secondait votre ouvrage :
    J’opposai constamment le mépris à l’outrage.
    Voilà mes torts ; j’en eus sans doute un bien plus grand,
    Celui de vous confondre, et de plaire un moment.
    Votre haine vaincue et réduite au silence,
    Changea dès-lors sa marche et son plan de vengeance.
    Vous parûtes m’aimer : mais votre aversion
    Éclatait, malgré vous, dans la moindre action.
    Vous voyez si mes yeux vous ont toujours jugée.
    Aujourd’hui cependant, vous vous croyez vengée.
    Des revers imprévus et non pas mérités,
    Vous ouvrent un champ libre, et vous en profitez.
    Heureuse de mes pleurs, fière de ma disgrace,
    Vous souscrivez d’avance au coup qui me menace.
    Loin de fléchir un frère, et d’éclairer son cœur,
    Vous venez lâchement insulter au malheur :
    Que dis-je ? Vous venez jouir de votre ouvrage.
    Oui, vos perfides soins ont excité l’orage,
    D’une ame trop sensible allumé le courroux ;
    Et de mes maux enfin, je n’accuse que vous.

    (Paméla mariée, Acte IV, Sc. III.)