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COMÉDIE.

Bonfil[1].

Préparez-vous à un honteux divorce.

Paméla.

Ah ! dites plutôt, dites que je me prépare à la mort : non, je ne souffrirai jamais un outrage aussi peu mérité. Trois choses me font chérir la vie. Vous, mon père, et mon honneur. Vous pouvez disputer à mon père même la première place dans mon cœur : mais l’honneur l’emporte encore sur vous deux. Je puis tout souffrir pour vous et rien quand il s’agit de l’honneur. Quelque soit la peine où vous me condamniez, je reconnaîtrai en vous mon juge, souverain. Mais si vous prétendez me flétrir par la honte d’un divorce, je saurai recourir à un pouvoir supérieur au vôtre. Avez-vous à vous plaindre de moi ? vengez-vous, frappez. Oui, je mourrai, si vous l’ordonnez ainsi : mais je veux mourir votre épouse ; mais je veux mourir avec mon honneur. (Elle sort.)

  1. Bonfil.

    Un divorce formel, voilà votre partage.

    Paméla.

    Le divorce ! Qu’entends-je ! Ai-je donc mérité
    Ce comble de l’opprobre et de l’indignité ?
    Et c’est vous ; vous, cruel, dont la voix me l’annonce
    Cet arrêt flétrissant, votre cœur le prononce !
    Et j’en pourrais subir l’inexprimable horreur !
    Depuis quand avez-vous des droits sur mon honneur ?
    Mes jours, mon rang, mes biens sont en votre puissance :
    Je vous dois mon amour et ma reconnaissance
    Je le sais ; je m’en fais une gloire, un plaisir,
    Et je m’estime trop, pour jamais vous trahir.
    Si j’ai, sans le savoir, innocemment coupable,
    Provoqué la rigueur d’un juge inexorable,
    frappez ; punissez-moi ; je saurai tout souffrir.
    Mais si publiquement vous pensez me flétrir,
    Imprimer sur mon front le sceau de l’infamie,
    Je saurai me soustraire à tant d’ignominie.
    Aux traits des envieux, à leurs viles clameurs,
    À vous-même, en un mot, j’opposerai mes mœurs.
    S’il est des tribunaux qui punissent l’offense,
    Il est des lois aussi qui vengent l’innocence.
    Je les invoquerai, j’obtiendrai leur appui,
    Et le ciel, entre nous, sera juge aujourd’hui.

    (Elle sort.)
    (Paméla mariée, acte III, Sc. VIII.)