Scène II.[1]
Maintenant que madame Jeffre n’y est pas, je
puis pleurer en liberté ! Mais ces larmes que je répands,
sont-elles bien toutes pour ma défunte maîtresse ? que
ne puis-je m’en flatter ! mais mon triste cœur me dit
le contraire. Mon maître parle souvent de moi… Le
sourire est sur ses lèvres quand il me nomme… !
Quand son œil me rencontre, il ne se presse point
de le détourner… ; il m’a adressé des paroles pleines
de bonté… Eh bien ! que puis-je et que dois-je
voir dans tout cela ? Il en agit ainsi, pour remplir
les intentions bienveillantes d’une mère chérie. Oui,
voilà son seul motif. Si je lui en supposais un autre,
je devrais fuir à l’instant de cette maison, chercher
mon salut dans les bras d’une famille honorée
et sacrifier ma fortune à mon honneur. Mais puisque je
mis seule, je veux achever la lettre que je me propose
d’adresser à mon père. Je veux qu’il partage, ainsi que
ma mère, la satisfaction dont je jouis ; qu’il sache que
la fortune ne m abandonne pas ; que, malgré la mort de
- ↑
Enfin me voilà seule, et libre de pleurer.
Qu’il est doux de pouvoir, quand une ame est blessée,
Exhaler les soupirs dont elle est oppressée !
Mais ces pleurs, ces soupirs qui soulagent mon cœur,
Quelle est leur source hélas ! et d’où naît ma douleur !
Est-ce un tribut de deuil que j’offre à ta mémoire,
Ô ma chère maîtresse ! ah ! je voudrais le croire ;
Mais je m’abuse en vain d’un si juste regret :
Mon cœur, mon faible cœur me dément en secret…
Je n’ose dans ce cœur lire qu’avec réserve…
Mais tandis que personne en ces lieux ne m’observe,
Achevons ce billet hier au soir commencé,
Et qui par moi doit être à mon père adressé.
Il faut bien qu’il partage, avec ma tendre mère,
Les consolations de ma douleur amère.
Qu’il sache que le ciel ne m’abandonne pas,
Et que de Myladi le funeste trépas,
N’a point changé mon sort ; que toute sa tendresse
Semble un legs que son fils à me payer s’empresse ;
Qu’elle revit pour moi dans un maître si cher…
Bon ! c’est là justement que j’en étais hier.(Acte I, Sc. II.)Indépendamment de quelques vers faibles qui déparent un peu ce monologue, d’ailleurs bien écrit et plein de sentiment, ne peut-on pas regretter que l’auteur ait négligé d’imiter un peu plus fidèlement ici l’original qu’il traduit presque par-tout ? IL nous semble que tout ce que Jeffre a fit de Bonfil à Paméla, a dû faire sur cette belle ame une impression profonde ; qu’elle dit revenir sans cesse sur ces idées, et s’y arrêter même, avec une complaisance involontaire. C’est ce qu’avait senté, et ce qu’a fait Goldoni. Voyez comme tout se représente à sa mémoire ! rien ne lui a échappé, pas même les termes. Voilà la nature, voilà la franchise d’une ame pure.