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Le Marquis.

Le désir de voir mon épouse future m’a fait anticiper mon voyage pour Milan, et le hasard nous a rassemblés tous à l’auberge de la poste. La sincérité de la comtesse Béatrice m’a dévoilé tout son cœur, et ma franchise m’a obligé de lui faire connaître mon caractère. Je vois que mon système n’est pas le sien, que mes défauts lui seraient insupportables, et que ma personne, en général, n’est pas fort agréable à ses yeux. Ce serait me manquer à moi-même que d’employer la violence auprès d’une si belle ame. Madame est aimable, vertueuse, charmante ; mais le ciel ne me l’a point destinée.

La Comtesse.

Ah ! Monsieur ! permettez-moi de vous dire que votre aspect n’a rien de désagréable pour moi, et que votre vertu m’enchante. Comment ! il existe un cœur capable, pour rendre hommage à la vérité, de se déprécier lui-même, en présence de ce qu’il aime ! tant de vertus, une si parfaite sincérité, méritent mon estime, mon respect et mon amour. En vous supposant colère, vous ne pourriez l’être qu’avec raison ; jaloux, ce ne serait jamais sans fondement. Quant au goût de la société et de l’étude, vos occupations seront toujours aussi estimables que vos liaisons. C’est à moi de ne donner aucun lieu à vos soupçons, à vos inquiétudes, et de faire en sorte qu’une épouse tendre et respectée ne tienne pas le dernier rang parmi vos plaisirs. Pardonnez mes craintes, et daignez excuser l’extrême délicatesse de ma façon de penser. Soyez persuadé que vous m’êtes cher, que je vous aimerai toujours, et que c’est à vous que le ciel m’a destinée.

Le Marquis.

Ah ! si tout ce que vous dites est vrai, je suis l’homme du monde le plus heureux.

Le Comte.

Mon ami, vous avez eu lieu de connaître le