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La Comtesse.

Tant pis, tant pis. Un mari qui se livre à l’étude néglige assez volontiers sa femme. Celui qui aime la société, ne s’attache point à sa maison, et la fréquentation du théâtre fournit mille occasions de former des liaisons nouvelles.

Le Marquis.

Pardon, Madame. Mais il me semble que vous vous abusez, et je me trouve forcé de justifier le système de mon ami. L’étude des lettres amuse l’esprit, sans enlever le cœur aux douces affections de l’humanité. L’amour est une passion naturelle, que l’on éprouve au sein même des occupations les plus agréables et les plus sérieuses. Celui qui ne sait qu’aimer doit être nécessairement fatigué quelquefois de sa propre complaisance ; et, ce qui est bien pire encore, en fatiguer l’objet de son amour. L’étude, au contraire, partage également le cœur, elle nous apprend à aimer avec plus de délicatesse elle nous fait mieux sentir le mérite de la personne aimée ; et les feux de l’amour sont plus vifs et plus brillans, quand le cœur a respiré, et que l’esprit s’est distrait un moment. Passons maintenant à l’article de la société. Ah ! malheureux celui qui la fuit ! c’est elle qui rend l’homme civil, aimable, et le dépouille de cette rudesse sauvage qui le rapproche, pour ainsi dire, des animaux. Un misanthrope, un solitaire, est un fardeau pour sa famille, un supplice pour son épouse. Celui qui n’aime pas la société pour lui, ne sera, comme de raison, guère disposé à en laisser jouir son épouse : or, quelque soit l’amour mutuel de deux époux, il n’est guère possible qu’ils se trouvent du matin au soir ensemble, sans avoir mille occasions de se fâcher, et la tendresse court le danger de dégénérer bientôt en ennui, en dépit, en aversion même.

Je vous dirai enfin ce que je pense relativement au théâtre, et soyez sure, Madame, que le Marquis pense à cet égard, comme si nous ne faisions qu’un,