angoisse sur le lit de ses enfants, comme la tchaïka[1] des steppes plane sur son nid. On lui prend ses fils, ses chers fils ; on les lui prend pour qu’elle ne les revoie peut-être jamais : peut-être qu’à la première bataille, des Tatars leur couperont la tête, et jamais elle ne saura ce que sont devenus leurs corps abandonnés en pâture aux oiseaux voraces. En sanglotant sourdement, elle regardait leurs yeux que tenait fermés l’irrésistible sommeil.
« Peut-être, pensait-elle, Boulba remettra-t-il son départ à deux jours ? Peut-être ne s’est-il décidé à partir sitôt que parce qu’il a beaucoup bu aujourd’hui ? »
Depuis longtemps la lune éclairait du haut du ciel la cour et tous ses dormeurs, ainsi qu’une masse de saules touffus et les hautes bruyères qui croissaient contre la clôture en palissades. La pauvre femme restait assise au chevet de ses enfants, les couvant des yeux et sans penser au sommeil. Déjà les chevaux, sentant venir l’aube, s’étaient couchés sur l’herbe et cessaient de brouter. Les hautes feuilles des saules commençaient à frémir, à chuchoter, et leur babillement descendait de branche en branche. Le hennissement aigu d’un poulain retentit tout à coup dans la steppe. De larges lueurs rouges
- ↑ Espèce de mouette.