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TARASS BOULBA

étaient déjà dans les bateaux et s’éloignaient à force de rames. Les balles pleuvaient sur eux de la hauteur, mais sans les atteindre. Et les yeux du vieux polkovnik brillaient du feu de la joie.

— Adieu, camarades, leur cria-t-il, d’en haut ; souvenez-vous de moi, revenez ici au printemps prochain, et faites une belle tournée ! Qu’avez vous gagné, Polonais du diable ? Croyez-vous qu’il y ait au monde une chose qui fasse peur à un Cosaque ? Attendez un peu, le temps viendra bientôt où vous apprendrez ce que c’est que la religion russe orthodoxe. Dès à présent les peuples voisins et lointains le pressentent : un tsar s’élèvera de la terre russe, et il n’y aura pas dans le monde de puissance qui ne se soumette à lui !…

Déjà le feu s’élevait au-dessus du bûcher, atteignait les pieds de Tarass, et se déroulait en flamme le long du tronc d’arbre… Mais se trouvera-t-il au monde un feu, des tortures, une puissance capables de dompter la force cosaque !

Ce n’est pas un petit fleuve que le Dniestr ; il y a beaucoup d’anses, beaucoup d’endroits sans fond, et d’épais joncs croissent sur ses rivages. Le miroir du fleuve est brillant ; il retentit du cri sonore des cygnes, et le superbe gogol[1] se laisse emporter par son rapide courant. Des nuées de courlis, de bé-

  1. Espèce de canard sauvage, approchant du cygne.