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les aurais cachés tous les deux sous ta jupe, pour les couver comme une poule ses œufs. Allons, marche. Mets-nous vite sur la table tout ce que tu as à manger. Il ne nous faut pas de gâteaux au miel, ni toutes sortes de petites fricassées. Donne-nous un mouton entier ou toute une chèvre ; apporte-nous de l’hydromel de quarante ans ; et donne-nous de l’eau-de-vie, beaucoup d’eau-de-vie ; pas de cette eau-de-vie avec toutes sortes d’ingrédients, des raisins secs et autres vilenies ; mais de l’eau-de-vie toute pure, qui pétille et mousse comme une enragée.

Boulba conduisit ses fils dans sa chambre, d’où sortirent à leur rencontre deux belles servantes, toutes chargées de monistes[1]. Était-ce parce qu’elles s’effrayaient de l’arrivée de leurs jeunes seigneurs, qui ne faisaient grâce à personne ? était-ce pour ne pas déroger aux pudiques habitudes des femmes ? À leur vue, elles se sauvèrent en poussant de grands cris, et longtemps encore après, elles se cachèrent le visage avec leurs manches. La chambre était meublée dans le goût de ce temps, dont le souvenir n’est conservé que par les douma[2] et les chansons populaires, que récitaient autrefois, dans l’Ukraine, les vieillards à longue barbe, en s’accompagnant de la bandoura[3],

  1. Ducats d’or, percés et pendus en guise d’ornements.
  2. Chroniques chantées, comme les anciennes rapsodies grecques ou les romances espagnoles.
  3. Espèce de guitare.