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armée. Déjà, l’ennemi a cerné Koukoubenko. Déjà, il ne reste autour de lui que sept hommes du kourèn de Nésamaïkoff, et ceux-là se défendent plus qu’il ne leur reste de force ; déjà, les vêtements de leur chef sont rougis de son sang. Tarass lui-même, voyant le danger qu’il court, s’élance à son aide ; mais les Cosaques sont arrivés trop tard. Une lance a pu s’enfoncer sous son cœur avant que l’ennemi qui l’entoure ait été repoussé. Il s’inclina doucement sur les bras des Cosaques qui le soutenaient, et son jeune sang jaillit comme une source, semblable à un vin précieux que des serviteurs maladroits apportent de la cave dans un vase de verre, et qui le brisent à l’entrée de la salle en glissant sur le parquet. Le vin se répand sur la terre, et le maître du logis accourt, en se prenant la tête dans les mains, lui qui l’avait réservé pour la plus belle occasion de sa vie, afin que, si Dieu la lui donnait, il pût, dans sa vieillesse, fêter un compagnon de ses jeunes années, et se réjouir avec lui au souvenir d’un temps où l’homme savait autrement et mieux se réjouir. Koukoubenko promena son regard autour de lui, et murmura :

— Je remercie Dieu de m’avoir accordé de mourir sous vos yeux, compagnons. Qu’après nous, on vive mieux que nous, et que la terre russe, aimée du Christ, soit éternelle dans sa beauté !

Et sa jeune âme s’envola. Les anges la prirent sous