Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/161

Cette page n’a pas encore été corrigée

villes somptueuses et des temples, et des kniaz[1] : des kniaz de sang russe, et des kniaz de son sang, mais non pas de catholiques hérétiques. Les païens ont tout pris, tout est perdu. Nous seuls sommes restés, mais orphelins, et comme une veuve qui a perdu un puissant époux, de même que nous notre terre est restée orpheline. Voilà dans quel temps, compagnons, nous nous sommes donné la main en signe de fraternité. Voilà sur quoi se base notre fraternité ; il n’y a pas de lien plus sacré que celui de la fraternité. Le père aime son enfant, la mère aime son enfant, l’enfant aime son père et sa mère ; mais qu’est-ce que cela, frères ? la bête féroce aime aussi son enfant. Mais s’apparenter par la parenté de l’âme, non par celle du sang, voilà ce que peut l’homme seul. Il s’est rencontré des compagnons sur d’autres terres ; mais des compagnons comme sur la terre russe, nulle part. Il est arrivé, non à l’un de vous, mais à plusieurs, de s’égarer en terre étrangère. Eh bien ! vous l’avez vu : là aussi, il y a des hommes ; là aussi, des créatures de Dieu ; et vous leur parlez comme à l’un d’entre vous. Mais quand on vient au point de dire un mot parti du cœur, vous l’avez vu, ce sont des hommes d’esprit, et pourtant ils ne sont pas des vôtres. Ce sont des hommes, mais pas les mêmes hommes. Non, frères, aimer comme aime un cœur russe,

  1. Princes.