Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/116

Cette page n’a pas encore été corrigée

rien ne peut te sauver, ni la force, ni la bravoure, ni la prière, nous mourrons ensemble, et je mourrai avant toi, devant toi, et ce n’est que mort qu’on pourra me séparer de toi.

— Ne t’abuse pas, chevalier, et ne m’abuse pas moi-même, lui répondit-elle en secouant lentement la tête. Je ne sais que trop bien qu’il ne t’est pas possible de m’aimer ; je connais ton devoir. Tu as un père, des amis, une patrie qui t’appellent, et nous sommes tes ennemis.

— Eh ! que me font mes amis, ma patrie, mon père ? reprit Andry, en relevant fièrement le front et redressant sa taille droite et svelte comme un jonc du Dniepr. Si tu crois cela, voilà ce que je vais te dire : je n’ai personne, personne, personne, répéta-t-il obstinément, en faisant ce geste par lequel un Cosaque exprime un parti pris et une volonté irrévocable. Qui m’a dit que l’Ukraine est ma patrie ? Qui me l’a donnée pour patrie ? La patrie est ce que notre âme désire, révère, ce qui nous est plus cher que tout. Ma patrie, c’est toi, Et cette patrie-là, je ne l’abandonnerai plus tant que je serai vivant, je la porterai dans mon cœur. Qu’on vienne l’en arracher !

Immobile un instant, elle le regarda droit aux yeux, et soudain, avec toute l’impétuosité dont est capable une femme qui ne vit que par les élans du cœur, elle se jeta à son cou, le serra dans ses bras, et