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Mais elle se taisait, sans se découvrir le visage, et restait immobile.

— Pourquoi cette tristesse, dis-moi ? pourquoi tant de tristesse ?

Elle ôta son mouchoir de ses yeux, écarta les cheveux qui lui couvraient le visage, et laissa échapper ses plaintes d’une voix affaiblie, qui ressemblait au triste et léger bruissement des joncs qu’agite le vent du soir :

— Ne suis-je pas digne d’une éternelle pitié ? La mère qui m’a mise au monde n’est-elle pas malheureuse ? Mon sort n’est-il pas bien amer ? Ô mon destin, n’es-tu pas mon bourreau ? Tu as conduit à mes pieds les plus dignes gentilshommes, les plus riches seigneurs, des comtes et des barons étrangers, et toute la fleur de notre noblesse. Chacun d’eux aurait considéré mon amour comme la plus grande des félicités. Je n’aurais eu qu’à faire un choix, et le plus beau, le plus noble serait devenu mon époux. Pour aucun d’eux, ô mon cruel destin, tu n’as fait parler mon cœur ; mais tu l’as fait parler, ce faible cœur, pour un étranger, pour un ennemi, sans égard aux meilleurs chevaliers de ma patrie. Pourquoi, pour quel péché, pour quel crime, m’as-tu persécutée impitoyablement, ô sainte mère de Dieu ? Mes jours se passaient dans l’abondance et la richesse. Les mets les plus recherchés, les vins les plus précieux faisaient mon habituelle