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caractère s’adoucissait. Un événement imprévu vint encore renforcer cet état d’esprit.

» Depuis un certain temps le camarade qui avait emporté le portrait ne lui donnait plus signe de vie ; mon père se disposait à l’aller voir quand l’autre entra soudain dans sa chambre et dit, après un bref échange de politesses :

» – Eh bien, mon cher, tu n’avais pas tort de vouloir brûler le portrait. Nom d’un tonnerre, j’ai beau ne pas croire aux sorcières, ce tableau-là me fait peur ! Crois-moi si tu veux, le malin doit y avoir établi sa résidence !…

» – Vraiment ? fit mon père.

» – Sans aucun doute. À peine l’avais-je accroché dans mon atelier que j’ai sombré dans le noir : pour un peu j’aurais égorgé quelqu’un ! Moi qui avais toujours ignoré l’insomnie, non seulement je l’ai connue, mais j’ai eu de ces rêves !… Étaient-ce des rêves ou autre chose, je n’en sais trop rien : un esprit essayait de m’étrangler et je croyais tout le temps voir le maudit vieillard ! Bref, je ne puis te décrire mon état ; jamais rien de pareil ne m’était arrivé. J’ai erré comme un fou pendant plusieurs jours : j’éprouvais sans cesse je ne sais quelle terreur, quelle angoissante appréhension ; je ne pouvais dire à personne une parole joyeuse, sincère, je croyais toujours avoir un espion à mes côtés. Enfin lorsque sur sa demande j’eus cédé le portrait à mon neveu, j’ai senti comme une lourde pierre tomber de mes épaules. Et comme tu le vois, j’ai du même coup retrouvé ma gaieté. Eh bien, mon vieux, tu peux te vanter d’avoir fabriqué là un beau diable !