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voilà pourquoi s’installent parmi eux des usuriers d’une espèce particulière, qui leur prêtent sur gages de petites sommes à gros intérêts. Ces usuriers-là sont encore bien plus insensibles que leurs grands confrères : ils surgissent dans la pauvreté, parmi les haillons étalés au grand jour, spectacle qu’ignore l’usurier riche, dont les clients roulent carrosse ; aussi tout sentiment humain meurt-il prématurément dans leur cœur. Parmi ces usuriers il y en avait un…, mais il faut vous dire que les choses se passaient au siècle dernier, plus exactement sous le règne de la défunte impératrice Catherine. Vous comprendrez sans peine que depuis lors les us et coutumes de Kolomna et jusqu’à son aspect extérieur se soient sensiblement modifiés. Il y avait donc parmi ces usuriers un personnage en tout point énigmatique. Depuis longtemps installé dans ce quartier, il portait un ample costume asiatique et son teint basané révélait une origine méridionale. Mais à quelle nationalité appartenait-il au juste ? Était-il Hindou, Grec ou Persan ? Nul n’aurait su le dire. Sa taille quasi gigantesque, son visage hâve, noiraud, calciné, d’une couleur hideuse, indescriptible, ses grands yeux, animés d’un feu extraordinaire, ses sourcils touffus le distinguaient nettement des cendreux habitants du quartier. Son logis lui-même ne ressemblait guère aux maisonnettes de bois d’alentour : ce bâtiment de pierre aux fenêtres irrégulières, aux volets et aux verrous de fer, rappelait ceux qu’édifiaient jadis en quantité les négociants génois. Bien différent en ceci de ses confrères, mon usurier pouvait avancer n’importe