pas machinaux. Le crépuscule couvrait encore la moitié du ciel, caressant d’un tiède reflet les édifices tournés vers le couchant. Mais déjà la lune épandait son rayonnement froid et bleuâtre ; déjà les maisons, les passants, projetaient sur le sol des ombres légères, quasi transparentes. Peu à peu le ciel, qu’illuminait une clarté douteuse, diaphane et fragile, retint l’œil du peintre, cependant que sa bouche laissait échapper presque simultanément des exclamations dans le genre de « Quels tons délicats ! » ou « Zut, quelle bougre de sottise ! » Puis il hâtait le pas en remontant le portrait qui glissait sans cesse de dessous son aisselle.
Harassé, essoufflé, tout en nage, il regagna enfin ses pénates sises dans la « Quinzième Ligne », tout au bout de l’île Basile[1]. Il grimpa péniblement l’escalier où, parmi des flots d’eaux ménagères, chiens et chats avaient laissé force souvenirs. Il heurta à la porte : comme personne ne répondait, il s’appuya à la fenêtre et attendit patiemment que retentissent derrière lui les pas d’un gars en chemise bleue, l’homme à tout faire qui lui servait de modèle, broyait ses couleurs et balayait à l’occasion le plancher, que ses bottes resalissaient aussitôt. Quand son maître était absent, ce personnage, qui avait nom Nikita, passait dans la rue le plus clair de son temps ; l’obscurité l’empêcha un bon moment d’introduire la clef dans le trou de la serrure ; mais enfin il y parvint ; alors Tchartkov put mettre le pied dans son antichambre, où sévissait un froid intense, comme chez tous les peintres, qui d’ailleurs ne prennent nulle garde à cet inconvénient. Sans tendre son manteau à Nikita, il
- ↑ À l’extrême ouest de Pétersbourg. Elle est percée de rues parallèles ou Lignes, désignées par des numéros (Note du traducteur.)