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chai tristement du perron ; les mêmes chiens, mais aveugles ou les pattes cassées, se mirent à aboyer en soulevant leurs queues touffues et garnies de chardons. Le vieillard sortit à ma rencontre. Oui, c’était lui, je le reconnus à l’instant même ; mais il était deux fois plus courbé qu’auparavant. Il me reconnut aussi, et m’aborda avec son sourire habituel. Je le suivis dans la maison. Au premier coup d’œil, tout semblait être dans le même état. Mais j’eus bientôt remarqué partout un désordre étrange, les traces visibles d’une absence. En un mot, je ressentis l’émotion qui vient nous saisir quand nous entrons pour la première fois dans l’habitation d’un homme veuf, que nous avions toujours connu inséparable d’une compagne. On apercevait en tout le manque de la bonne ménagère. Un des couteaux qu’on mit sur la table n’avait pas de manche. Les plats n’étaient plus préparés avec le même soin. J’évitais moi-même de parler des choses du ménage....

Quand nous prîmes place à table, une servante vint attacher une serviette sous le menton d’Athanase Ivanovitch, et fit bien, car, sans cette précaution, il aurait sali toute sa robe de chambre. Je tâchais de le distraire, je lui racontais différentes anecdotes. Il m’écoutait avec le même sourire ; mais parfois son regard devenait complétement inanimé ; on voyait qu’il ne pensait plus à rien.