Page:Gogol - Nouvelles choisies Hachette - Viardot, 1853.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il s’arrêta, et ne put achever sa phrase.

Mais quand il fut de retour à la maison, quand il vit que sa chambre était vide et qu’on avait emporté jusqu’au fauteuil sur lequel s’asseyait Pulchérie Ivanovna, il se mit à sangloter amèrement, inconsolablement, et les larmes coulaient, coulaient comme deux sources de ses yeux ternis.

Cinq années s’écoulèrent depuis cette époque. Quelle souffrance le temps n’emporte-t-il pas ? quelle passion peut ne pas succomber dans la lutte inégale qu’il lui livre ? J’ai connu un homme à la fleur de son âge, rempli de bonnes qualités ; il était épris tendrement, passionnément, follement. Et devant moi, presque sous mes yeux, celle qu’il aimait, créature angélique, fut emportée par l’insatiable mort. Je n’ai jamais vu d’aussi terribles transports de douleur, une angoisse aussi insensée, un désespoir aussi poignant que ceux de mon malheureux ami. Je n’aurais jamais cru qu’un homme pût se créer un pareil enfer, où ne perçait pas la moindre lueur d’espérance. On le gardait à vue ; on lui enleva toutes les armes dont il pouvait faire usage pour se détruire. Quinze jours plus tard, il finit par se vaincre ; il se mit à plaisanter, à rire ; on lui rendit la liberté, et le premier usage qu’il en fit fut de s’acheter un pistolet. Un beau jour, une explosion d’arme à feu épouvante sa famille. On entre dans sa chambre, et on le trouve par terre, la tête fracassée