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d’eau-de-vie. Les convives parlaient, pleuraient, contemplaient la morte, vantaient ses bonnes qualités, et regardaient Athanase Ivanovitch. Il parcourait toute cette foule d’un air hébété. On emporta enfin le corps ; tout le monde se mit en marche, et lui avec les autres. Le soleil était éclatant ; les prêtres portaient leurs chasubles dorées ; les nourrissons pleuraient sur les bras de leurs mères ; les alouettes chantaient, de petits enfants en chemise jouaient et couraient sur la route. On finit par placer le cercueil au-dessus de la fosse qu’on lui avait préparée dans le cimetière. Alors Athanase Ivanovitch fut invité à s’approcher de la morte, et à l’embrasser pour la dernière fois. Il s’approcha, il l’embrassa, des larmes roulèrent dans ses yeux, mais des larmes insensibles. On descendit le cercueil ; le prêtre prit une bêche et jeta la première pelletée de terre ; le diacre et ses deux aides se mirent à chanter le vetchnaïa pamiat (mémoire éternelle) d’une voix basse et traînante qui se perdit au loin sous le ciel pur et sans nuages. Les fossoyeurs prirent leurs bêches, et la terre eut bientôt rempli et recouvert la fosse. En ce moment, s’avança Athanase Ivanovitch. Tout le monde lui fit place, désireux de connaître son intention. Il leva les yeux, jeta autour de lui un regard troublé, et dit :

— Voilà donc que vous l’avez enterrée. Pourquoi… —