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servir. Mais ce qu’il y avait de plus remarquable dans la maison, c’était le cri des portes. Dès le matin, il retentissait du haut en bas. Je ne saurais dire pourquoi les portes criaient ainsi. Est-ce parce que les gonds en étaient rouillés ? ou bien le menuisier qui les avait faites y avait-il caché quelque secret mécanisme ? Je ne sais, mais le plus étrange, c’est que chaque porte avait son chant particulier. Celle de la chambre à coucher avait une voix aigre et pointue ; celle de la salle à manger, une voix basse et rauque. Quant à celle qui fermait l’antichambre, elle rendait un son bizarre, tremblotant et plaintif ; tellement, qu’en écoutant avec attention, l’on discernait clairement ces mots : — J’ai froid, j’ai froid, je gèle[1] ! — Je sais que nombre de personnes n’aiment pas le cri des portes ; moi je l’aime beaucoup. Et quand il m’arrive quelquefois à Saint-Pétersbourg d’entendre une porte crier, je me transporte en idée à la campagne, dans une petite chambre basse, éclairée d’une lumière plantée sur un vieux chandelier. Le souper est déjà sur la table, près de la fenêtre ouverte, par laquelle une belle nuit de mai regarde dans la chambre ; un rossignol remplit des éclats de sa voix le jardin, la maison, et jusqu’à

  1. C’est naturellement dans les mots russes qu’est la ressemblance avec le cri de la porte.