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que toute chose dont nous sommes séparés nous est chère. Par quelque raison que ce fût, dès que ma briska s’approchait du perron de cette maisonnette, mon âme éprouvait un délicieux sentiment de calme et de bien-être. Les chevaux arrivaient gaiement devant la porte, où ils s’arrêtaient d’eux-mêmes ; le cocher descendait lentement du siége, et se mettait à bourrer sa pipe, comme s’il eût été devant sa propre maison. Même l’aboiement flegmatique des chiens de la basse-cour avait quelque chose d’amical et de bienveillant. Mais ce qui me plaisait le plus dans ces modestes réduits, c’étaient leurs propriétaires, de bonnes vieilles gens qui s’empressaient avec tant de cordialité à la rencontre de leurs hôtes. Leurs bonnes figures se représentent quelquefois à mon esprit, même au milieu du bruit du monde ; et une douce rêverie me saisit, et je me rappelle mon passé. Il y a tant de bonté, de franchise, de bienveillance sur leur visage, qu’on renonce avec joie, au moins pour quelques instants, à toute pensée téméraire, et qu’on passe insensiblement tout entier dans cette humble vie champêtre.

Je ne puis oublier deux vieillards du siècle passé ; ils ne sont plus au monde à présent ; mais mon âme se remplit d’une tristesse pieuse en pensant que j’irai quelque jour dans leur habitation maintenant déserte, que je trouverai la maison à