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le plaisir d’aller au bal. Sophie en revint à la maison vers les six heures du matin, et je devine aisément à sa mine pâle et fatiguée qu’on n’a rien donné à manger à la pauvrette. Je conviens que je ne pourrais vivre comme cela. Si l’on ne me donnait pas tous les soirs de la sauce de salmis de gélinottes ou du blanc de poulet, je ne sais pas ce que je deviendrais. Le gruau est aussi une fort bonne chose, mais jamais personne ne trouvera le moindre goût aux navets, aux betteraves, aux artichauts.


Quel style inégal ! on voit à l’instant même que ce n’est pas un homme qui écrit. Elle commence comme il faut ; puis elle finit en queue de chien. Voyons une autre lettre. Celle-ci est un peu longue. Hum ! il n’y a pas de date.


Ô ma chère, comme l’approche du printemps se fait sentir ! Mon cœur bat comme s’il s’attendait constamment à quelque chose. Les oreilles me tintent sans cesse, de façon que je me tiens souvent des minutes entières, la patte levée, devant la porte, à écouter. Il faut que je te dise que j’ai une foule d’adorateurs. Je me mets souvent à la fenêtre pour les examiner. Ah ! si tu savais quels monstres il y a parmi eux ! Souvent un chien de basse-cour, mal bâti et stupide (la bêtise se lit sur sa figure), passe très-gravement dans la rue, s’imaginant qu’il est un personnage d’importance, et que tout le monde l’admire. Pas le moins du monde ; je ne lui accorde pas la moindre attention ; c’est comme si je ne l’avais pas vu. Et quel effroyable dogue s’arrête quelquefois devant ma fenêtre ! S’il se levait sur ses pattes de derrière, ce que le butor ne sait pas faire certainement, il serait de toute la tête plus grand que le papa de ma Sophie, qui est