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Dans un coin, sous les saintes images[1], et sur une haute table que recouvrait un drap de velours bleu garni de franges et de glands d’or, était étendu le corps de la morte. De grands cierges, entourés de branches de kalina, étaient dressés près des pieds et de la tête, jetant une lumière pâle et terne qui se perdait dans les rayons du jour.

Le visage de la morte était caché au philosophe par le vieillard inconsolable qui s’était assis devant elle, tournant le dos à la porte. Thomas fut frappé des paroles qu’il lui entendit prononcer à voix basse.

— Ce que je regrette le plus, ma chère fille, ce n’est pas que tu aies abandonné la terre à la fleur de ton âge, avant le terme qui t’était fixé, pour me laisser ainsi triste et malheureux. Ce que je regrette, ma colombe, c’est de ne pas connaître mon ennemi implacable, celui qui a causé ta mort. Si j’avais su que quelqu’un pensât seulement à t’offenser, ou à dire quelque chose qui te fût désagréable, je jure devant Dieu que cet homme-là n’eût jamais revu ses enfants, s’il avait été vieux comme moi, ni son père et sa mère, s’il avait été jeune encore, et que son corps fût allé servir de pâture aux oiseaux et aux bêtes fauves de la steppe.

  1. Il est d’usage, en Russie, de placer des images consacrées dans l’un des coins de tous les appartements.