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moral en brûlant, peu de jours avant d’expirer, tous ses manuscrits, entre autres la seconde partie, complétement terminée, du roman satirique les Ames mortes. La censure défendit ensuite de mentionner même son nom dans les journaux ou revues des deux capitales. À Moscou, ses funérailles avaient été un véritable deuil public. Ce n’est pas sur le char mortuaire, c’est sur les épaules d’une foule en larmes, que son cercueil fut porté jusqu’au cimetière, qui est à six verstes de l’église.

Le nom de Nicolas Gogol doit s’ajouter à la liste déjà trop longue de tous les écrivains illustres de la Russie qu’un sort fatal, inévitable, frappe de mort dès qu’ils franchissent le niveau de la médiocrité, dès qu’ils appellent sur eux l’attention publique et que leur nom court de bouche en bouche. Tels sont Ryleïeff, pendu comme conspirateur en 1825 ; Pouchkine, tué à trente-huit ans, dans un duel ; Griboïedoff, assassiné à Téhéran ; Lermontoff, tué dans un duel, au Caucase, à trente ans ; Vénévitinoff, mort à vingt-deux ans, abreuvé d’outrages par la société ; Koltzoff, mort à vingt-trois ans, abreuvé de chagrins par sa famille ; Belinsky, tué à trente-cinq ans par la misère et la faim ; Dostoïefski, envoyé à vingt-deux ans, et pour toujours, aux mines de Sibérie ; enfin Gogol, mort par le suicide à quarante-trois ans. « Malheur, dit l’Écriture, aux peuples qui lapident leurs prophètes ! »

On tomberait dans une grave erreur, on n’élèverait point Gogol à sa véritable place, si l’on se bornait