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mesures de gros pois, mais avec une stoïque indifférence, disant que ce qui doit arriver arrive. Quant au rhétoricien Tibère Gorobetz, il n’avait pas encore le droit de porter moustaches, de boire le brandevin et de fumer la pipe. Il n’avait sur la tête qu’une courte touffe de cheveux[1], preuve que son caractère n’avait pas encore eu le temps de se développer. Toutefois, à en juger par les grosses bosses au front avec lesquelles il arrivait souvent en classe, on pouvait supposer qu’il deviendrait avec le temps un excellent homme de guerre. Le théologien Haliava et le philosophe Thomas le tiraient souvent par les cheveux, en signe de leur haute protection, et l’employaient pour commissionnaire.

Il était déjà tard quand ils quittèrent le grand chemin. Le soleil venait de se coucher, et la chaleur d’un jour d’été se faisait sentir encore dans l’air assombri. Le théologien et le philosophe marchaient en silence, fumant leurs pipes ; le rhétoricien Tibère abattait à coups de bâton les têtes des chardons qui bordaient la route. Cette route étroite serpentait parmi des touffes de chênes et de noyers disséminées dans la plaine. De petites collines, vertes et rondes comme des coupoles d’église, s’éle-

  1. Les Petits-Russiens se rasent le tour de la tête, et gardent seulement une large touffe au sommet du crâne.