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très-fier… Mais ce fut justement l’époque où il arriva un malheur.

L’instituteur sans pareil, dont un mot d’encouragement jetait dans son cœur un doux frémissement, tomba malade, et bientôt après mourut prématurément. Quel coup terrible ce fut pour notre jeune homme ! quelle effroyable perte il faisait dans ce maître chéri !

Un mois s’était à peine écoulé après cet événement, que tout se trouva changé dans l’école : à la place d’Alexandre Pétrovitch parut un certain Fédor Ivanovitch, homme très-zélé, mais sans portée, qui se mit à demander, comme ils font tous, à exiger des enfants ce qu’on ne peut raisonnablement attendre que des adultes. Dans les jeux et les ébats de ses élèves, il voulut voir je ne sais quoi de désordonné et de licencieux. Il édicta des châtiments qui atteignaient les moindres espiègleries, ce qui donna lieu tout d’abord à des contraventions secrètes. Tout fut comme tiré au cordeau pendant le jour, et alors nul trace de désordre ; mais la nuit venait, et l’on égayait la nuit d’autant ; le régime n’y avait pas gagné, mais certainement perdu.

Quant à l’enseignement des sciences, l’innovation fut aussi étrange : on appela des personnes du dehors ; de nouveaux maîtres accoururent avec de nouvelles lignes, de nouveaux angles, de nouveaux points de vue ; les jeunes auditeurs durent accoutumer leurs mémoires et leurs oreilles à des nuées de nouveaux termes et de mots inconnus. Chacun de ces messieurs développa sa faconde, sa logique, son système à part, sans se soucier des raisonnements ni du système de son confrère ; chacun se montra avide de nouveautés, porté aux découvertes, impatient de toute objection, fébrilement jaloux de ses inspirations personnelles. L’unité avait disparu ; la vie de la science des écoles avait fait place à des passions d’individualités plus ou moins érudites, plus ou moins sûres d’elles-mêmes, mais toutes également absolues. Quand la jeunesse ne sait plus à qui entendre, elle retire sa confiance à tous les orateurs, et l’enseignement a beau s’agiter, il sent