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nêtres, ni au dehors : tout est livré au sommeil, tout, sauf peut-être quelque pauvre diable, quelque petit bourgeois de la ville qui calfate de son mieux ses bottes crevassées, ou le boulanger pressé d’allumer son four. Oh ! la nuit, la nuit ! combien on doit bénir ces voiles que le ciel lui prête, et ce bon air frais qui souffle alors en murmurant son indolente chanson ! Nous nous rendormons, nous nous sentons sans résistance retomber dans cet oubli de nous-mêmes et des autres, et une seconde fois nous réveillons le pauvre voisin, fort dépité de nous sentir peser sans conscience de tout notre poids sur son flanc. Adieu le sommeil cette fois ! nous sourions ; nous voyons s’étendre devant nous des prés, des steppes, l’immensité ; encore un poteau, un autre est dépassé, un troisième. La scène du matin se prépare ; l’aube tire sur l’horizon sa raie blanche, qui, un instant après, est un ruban d’or pâle, puis elle envahit un dixième de l’horizon. L’air en ce moment est plus saisissant, le vent plus intense. Enveloppons-nous bien de notre manteau, il fait froid, on grelotte, on secoue ainsi l’engourdissement du dernier somme. Au moindre cahot du véhicule, nous voilà bien décidément réveillés.

Cependant le soleil s’est élevé majestueux au-dessus de l’horizon en dissipant sous lui les dernière teintes de l’aurore, emportant les dernières ombres de la nuit. Nous nous sentons légers, notre ouïe distingue un murmure de voix ; la télègue dévale de la colline tout au bas de laquelle miroite éblouissante la surface d’un réservoir et de quelques limpides étangs. Des villages, des chaumières et des cabanes isolées, animent tout le versant jusqu’aux rives des eaux ; à part, sur un joli plateau, reluit la croix dorée de l’église locale ; non loin de là se sont formés quelques groupes de paysans, d’autres de paysannes babillardes ; et nous nous sentons un appétit impatient et avide de satisfaction. Voici le relais, vivat ! Oh ! que tu es doux, que tu es salubre et parfois salutaire, voyage, voyage lointain ! Que de fois, pour notre compte, nous avons eu recours à toi comme à une planche de salut ! et chaque fois tu m’as