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femmes accourus pour assister au spectacle que leur promettait le départ d’un monsieur.

Le monsieur, objet de cette attention générale, assisté du garçon d’auberge, monta en voiture, et cette britchka qui a séjourné si longtemps dans la ville de N…, au grand ennui peut-être de nos lecteurs, sortit au pas de la grande porte de l’hôtellerie. « Ah ! enfin, Dieu merci ! » pensa Tchitchikof tandis que Séliphane se donnait l’innocent plaisir de faire claquer son fouet. Pétrouchka, après s’être un moment tenu comme en équilibre sur le marchepied de l’avant, se décida à grimper et occupa sur le siége le tiers d’espace qui était sa partie congrue. Notre héros, assez pittoresquement posé sur un tapis de Géorgie, s’inclina pour s’y adosser sur un coussin de maroquin vert, et la voiture se mit à rouler en sautant et bondissant sur un pavé qui semblait avoir été inventé tout exprès pour éprouver la solidité de tout véhicule roulant.

Ce fut avec une certaine émotion vague que Tchitchikof regardait les maisons, les murailles, les palissades, les rues qui, elles aussi, dansaient, sautaient et fuyaient en sens inverse, et que peut-être il apercevait pour la dernière fois. Au moment de doubler l’angle d’une rue, la britchka dut s’arrêter ; il défilait dans celle où il fallait entrer un convoi funèbre qui s’étendait à perte de vue. Tchitchikof se pencha en avant et ordonna à Pétrouchka de questionner quelqu’un ; il apprit que c’étaient les funérailles du procureur. Frappé de cette nouvelle, il abaissa la capote, boutonna les rideaux de cuir et se rencogna dans sa voiture. Pendant qu’ils stationnaient ainsi malgré eux, Séliphane et Pétrouchka, ayant pieusement mis chapeau bas, regardaient passer le convoi et s’amusaient à compter combien il y avait de personnes à pied et combien en voiture. Leur maître, s’étant de nouveau mis sur son séant pour leur recommander de ne reconnaître et de ne saluer aucun des laquais et cochers de leur connaissance, se mit aussi à regarder aux œils de vitre logés dans le cuir des rideaux.

Immédiatement derrière le corbillard cheminait pédes-