— Je n’ai pas eu, jusqu’à ce jour, la hardiesse de me présenter à vous, excusez-moi de vous accoster ainsi avec une prière : quand on me ballottera, je m’appelle Tchêrine ; quand on me ballottera, mettez à gauche, je vous en prie, à gauche. Sans doute, je serais tout à fait, en toute occasion, aux ordres de la noblesse, je n’aurais d’autre ambition que de complaire à tout gentilhomme des nôtres, mais, c’est égal, vous m’obligerez, et beaucoup, si vous mettez à gauche.
— Si les autres qui vous connaissent vous jugent digne de la place d’assesseur, je ne voterai pas pour vous autrement que la noblesse du district ; je mettrai à droite si l’on met à droite.
— Comme il vous plaira ; mais recevez l’hommage de mon respectueux dévouement. »
Après avoir dit ces mots, le solliciteur courut solliciter ailleurs, Tchitchikof regarda à droite, à gauche, il ne le vit plus.
« Qu’est-ce que c’est que ce Tchêrine, votre voisin de terre ?
— Un passé-maître… à la préférence… Oh là, il ne craint aucun grec, quel qu’il puisse être.
— Alors, il est un peu…
— Je vous garantis qu’il est très-fort… Mettez-lui une boule noire, bien noire, et à Kostliâkine aussi une noire.
— Quel est ce Kostliâkine ?
— Un propriétaire, rien de plus. Je voulais marier à sa fille un frère de ma femme, un joli garçon qui venait d’être promu lieutenant, et à qui déjà on promettait une compagnie. Kostliâkine a eu l’effronterie de répondre à la demande du jeune homme : « Commence par avoir la compagnie, et alors, viens me faire ta proposition. » Conçoit-on un animal pareil, qui refuse de s’allier avec moi ! À Wyrkine aussi mettez à gauche. Quant à Erebnikof, prenez garde, c’est un furet, défiez-vous, mettez, mettez à gauche. À Krâpline, il faudrait bien aussi une bonne boule noire ; au reste pour lui, faites comme vous voudrez. Attendez, j’ai encore deux amis : Ivan Telkine et Pierre Telkine, deux cousins