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verneur ajourner à la fin des élections les délibérations à suivre sur les sept ou huit propositions qu’il restait encore à soumettre à l’assemblée.

Au fond, la véritable résolution finale, c’est qu’on laisserait pleine liberté sur tout cela à M. le secrétaire, qui, d’avance, probablement, connaissait l’opinion de M. le maréchal du gouvernement, et qui lui-même, plus que personne, devait avoir grand besoin de se reposer après une semblable corvée.

Il y a cela de bon qu’en ces jours d’assemblées électorales, on a la faculté, sinon toujours d’obtenir des satisfactions d’amour-propre, du moins de bien faire bombance et d’avoir des distractions à ses soucis ordinaires. Il se rencontre bien peu de gentilshommes qui ne finissent par signer, sans faire aucune réserve, tout ce que le secrétaire de la noblesse leur présente, tout ce qu’il rédige et se propose de rédiger sur plusieurs feuilles de papier, ne voulant ni mettre d’entraves à sa plume agile, ni même lui gâter l’appétit par des subtilités taquines.

Notre héros se sentit, dès le soir même, infiniment mieux qu’à la séance. Il est à supposer qu’une triple portion de marinade et une bouteille de Château-la-Rose très-vieux, qu’il absorba pour tromper l’ennui de quelques heures de solitude, eurent en outre un effet salutaire sur son nerf maxillaire, ce qui le dispensa de poser dans le fauteuil d’aucun dentiste. Il prit son chapeau rond et un long surtout ouaté à la Palmerston, et se mit à longer quelques rues, une jolie canne de poivrier d’Inde à la main. Toutes les maisons de la ville, tous les logements bons et mauvais, les moindres chambres, les moindres pavillons de jardins étaient occupés et encombrés ; les auberges et les restaurants étincelaient de lumière ; leurs portes étaient comme assaillies de voitures publiques et privées de toute capacité, de toute forme et de tout nom. Dans quelques salles détonaient intrépidement et impunément les prétendus accords d’orchestres ambulants, artistes forains, bohême inévitable, impitoyable et recherchée. La noblesse prodiguait son or en déjeuners et