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— Grand bien leur fasse !… Mais qu’avez-vous fait hier à la préférence ? »

Ces messieurs se mirent à parler de leurs exploits de cartes de la veille, jusqu’à ce qu’une de leurs connaissances communes vint leur demander de quoi il s’agissait, et qui était le membre qui donnait son opinion.

« Au bureau, là-bas ? pardon, je n’y étais plus ; mais non, ce n’est pas une opinion qui était donnée ; on faisait je ne sais quelle proposition. Hé ! Pâvel Dmitritch, voulez-vous expliquer à monsieur ce que le secrétaire vient de lire ; moi je n’ai pas le temps, pardon, je rentre chez moi.

— Votre Noblesse fait horriblement de bruit, dites donc ?

— Tous ont l’estomac vide ; ils crient pour tromper un moment leur appétit ; mais il serait temps de lever la séance.

— Nous signerons le protocole sans bruit, sans conteste.

— D’autant mieux que ceux qui le rédigent sont plus malins que nous.

— Qui vais-je inviter à venir dîner avec moi ? C’est si ennuyeux de manger seul, dit un monsieur à nez épaté.

— Demeurez-vous loin ? dit au nez court un jeune monsieur à nez long.

— Non, tout près d’ici.

— Je vous félicite, vous en satisferez d’autant plus tôt votre appétit.

— Quant à la satisfaction de mon appétit, je ne regarde pas à la distance. Demeurez-vous loin ?

— Non, pas très-loin, répond le jeune électeur.

— Eh bien ! dit le gentilhomme au nez court, allons ensemble ou chez vous ou chez moi ; cela m’est indifférent.

— Allons. Moi je suis accommodant en ces sortes de choses.

— Ce que j’aime dans les jeunes gens, c’est ce charmant sans façon qu’ils ont la plupart. On voit tout de suite qu’on a affaire à un homme bien né, à un jeune homme qui a été militaire un temps. Je ne le connais pas, il ne me connaît pas davantage, je suppose, je lui dis : Je vais dîner ;