sant, regardait de haut, des pieds à la tête, l’éloquent marin, allongeait la lèvre inférieure et haussait ses maigres épaules.
« Sérieusement, quoi, vous ne seriez pas Tchitchikof ?
— Ça, faites moi donc le plaisir de me dire ce que vous voulez de moi. Je n’ai point l’honneur de vous connaître… pardon… (L’inconnu voulait s’éloigner.)
— Non, vous ne m’échapperez pas ainsi, noble et généreux Tchitchikof, vous m’achèterez mes 140 âmes de l’un et de l’autre sexe, mortes du choléra ; vous me dédommagerez un peu du moins de cette perte cruelle. Faites qu’un vieux marin, ses fils et petits-fils, aient à bénir éternellement votre nom.
— Vous plaira-t-il de me laisser en repos ! Où diantre prenez-vous toutes les choses ridicules que vous me dites là ?
— Chacun cherche son avantage ; c’est tout naturel. Je respecte tellement et tiens pour si légitime le commerce que vous avez entrepris, que je suis prêt à rabattre 25 kopéïki du prix que vous donnez de chaque âme morte, uniquement pour jouir du bonheur de concourir ainsi, selon mes facultés, à la prospérité de vos opérations.
— Je vous prie encore une fois de vous taire et de ne me pas forcer à vous dire des duretés.
— De la part d’un homme sage tel que vous, je n’ai pas à attendre la moindre parole grossière, certainement. Faisons notre marché ici, de vous à moi, et pour l’acte et la somme, j’irai les prendre chez vous.
— Ah çà, vous voulez donc… ?
— Ne vous inquiétez pas de cela ; je n’aurai pas de peine à trouver votre demeure, et fût-elle au fond des mers, je trouverai. Eh bien, mon honorable Pâvel… »
Ce petit colloque privé fut interrompu net par le silence qui tout à coup se fit dans toute la salle. Le secrétaire proclama le résultat du scrutin :
« D’après le scrutin qui vient d’avoir lieu au sujet du conseiller d’état Pâvel Ivanovitch Tchitchikof, il a été trouvé pour le maintien de son droit de vote 499, contre 87.