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— Moi, je dirai tout à la mienne ; sans cela, elle l’apprendrait d’un autre, et en voilà un bon sujet à querelles.

— Pour quoi faire, pour quoi faire, pourquoi achète-t-il des âmes mortes ? »

Le haut-maréchal jusqu’ici avait pris patience, mais, sentant qu’il fallait en finir de cet article, il s’arma de la sonnette et tinta jusqu’à ce que le silence le plus complet se fût établi, et alors, il dit à l’assemblée :

« Messieurs, il paraît que, sur la question de savoir si le droit d’élire de ce gentilhomme est ou n’est pas reconnu par l’assemblée ; il y a scission. Ne vous convient-il pas, en cette occasion, de recourir au scrutin de ballottage ?

— Très-bien.

— C’est le cas ou jamais.

— Le ballottage, le ballottage ! »

Les boules furent apportées, et on procéda au scrutin.

« Ah ! que je voudrais voir ce monsieur Tchitchikof, sa figure, son extérieur, ses manières.

— Pour sûr la mine d’un crochet de chicane et d’un vaurien achevé, d’un croque-mort tout au moins.

— Nullement, tout le monde disait hier que c’est un homme encore jeune, grassouillet, frais, bonne tenue et bon ton.

— On dit qu’il a servi dans les gardes impériales.

— Tchitchikof ? Vraiment ? Çà, dites donc, Trofime Pétrovitch, puisqu’il est de votre district, vous devez le connaître, vous ?

— Non pas ; dans notre district, nous n’avons personne de ce nom-là.

— Il a été agent d’affaires au contentieux, en Sibérie.

— Il faut savoir de quel district il est ; à qui donc s’informer ?

— Il nous est arrivé ici droit de Kamtchadka, à cheval sur un renne.

— Finissez. Ha !

— Moi, je vous dis que le cas est fort grave.

— Tchetchelkof, Tcheltchelkof ! ! Grand Dieu, voyez quels