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— Mais pas du tout… c’est bien cela ; il s’est adjugé un grand héritage et il a acheté d’anciens cimetières.

— Impossible. Vous avez compris comme cela, je le veux bien.

— Répétez l’article ! répétez, répétez ! cria une grande partie de la noble assemblée.

— Et venez près de nous, ici, ici, voilà, c’est bien, c’est le centre de la salle…

— Ce n’est pas vrai, plus à droite, à droite, voilà le vrai centre, ici donc, plus près de nous ! »

Le secrétaire se plaça au centre même ; il toussa et se mit à lire :

« Pâvel Ivanovitch Tchitchikof, conseiller d’État ; accusation de faux en matière de testament, et accusé d’avoir acheté à divers propriétaires nobles leurs âmes mortes… »

À ce mot il se fit dans la salle un bruit et une confusion épouvantables. La plupart des électeurs se levèrent.

« Voilà du nouveau !

— Crime sur crime !

— Quelle apparence ! Allons donc !

— C’est un faiseur d’affaires, un homme à projets, un spéculateur, voilà !

— Oh, cette idée, je vous demande ; cette idée de déterrer les morts !

— En voulait-il pas faire du charbon animalisé ?

— Est-ce que l’enquête ne dit pas ce qu’il voulait faire de ces os et de ces cadavres ?

— Je crois qu’on peut avec les tombes faire du salpêtre ; après ça, les ossements donnent une cendre que l’industrie utilisera pour sûr ; moi je…

— En voilà un qui dit des horreurs. C’est un cas, un cas, un tel cas, voyez, que je ne me serais jamais figuré ; non, un pareil cas jamais. Que je raconte cela à ma femme, elle dira que je mens.

— Pourquoi le dire ? pourquoi se faire gronder ? À quoi bon chercher les querelles ; ne viennent-elles pas d’elles-mêmes sans cela ? Moi, je ne dirai pas un mot à ma femme de cette abominable affaire.