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forme de gentilhomme de la chambre de Sa Majesté Impériale, fit son entrée en saluant poliment de tous les côtés ; il s’arrêta au milieu de la foule et causa amicalement avec les nobles de sa connaissance. Les maréchaux des districts se mirent en devoir de lui présenter les nobles de leurs districts. Le représentant de toute cette noblesse ne cessait de saluer, et il donnait même la main à quelques-uns au moment où ils passaient.

Tchitchikof n’avait point compté sur un honneur si insigne, en sorte que, par la distraction que lui causa la surprise, il pressa assez fort cette main que lui tendit sans penser le maréchal. Son amour-propre flatté se fit voir aussitôt dans sa démarche, dans le port de sa tête et dans toute l’économie de sa personne ; il comprenait tout ce qu’il venait de gagner aux yeux de tous ses voisins de campagne ; son district le regarda quelques minutes, et quelques-uns lui trouvèrent une physionomie de diplomate.

« Dites-moi un peu, dit un noble à un autre, pourquoi M. le maréchal a échangé une poignée de main avec Tchitchikof.

— Une distraction, le hasard, voilà tout.

— Non pas, non pas ; après lui avoir tendu la main, il a relevé ses gros sourcils, et j’ai remarqué qu’en regardant Tchitchikof comme quelqu’un qu’on est aise de trouver à son poste, il a fait un ah… a… a… significatif.

— Bah ! c’est comme ça.

Comme ça n’explique rien.

— Est-ce que je sais, moi, ce que vous me demandez là. Je cherche là-haut dans les tribunes.

— Vous avez là des connaissances, des parents, n’est-ce pas, qui vous regardent ?

— De nouvelles débarquées, pour sûr, ce sont de nouvelles débarquées ! Nous n’avons jamais rien d’approchant ici, même à l’époque de la foire… Voyez, voyez !

— Vous devriez rougir. Le bel objet d’enthousiasme ! Sommes-nous ici pour de telles folies ? Et penser que vous avez pour femme une beauté…