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— Parfaitement prêt, répond le tailleur en prenant son creux et retirant les épingles.

— Après cela, m’ira-t-il bien ?

— Il doit aller bien, répond l’artiste. »

Tchitchikof s’habilla des pieds à la tête, et à la fin se fit passer son uniforme, et, se plaçant devant une glace, il exécuta divers mouvements du corps et des bras ; après quoi il dit que peut-être l’habit était un peu étroit aux aisselles.

Le tailleur prétendit que l’emmanchure ne laissait rien à désirer.

« Fort bien, dit Tchitchikof, mais vois donc, si je fais comme ça, comme ça, cela me gêne sous les bras.

— L’assemblée des électeurs n’est pas un étang dangereux, et vous n’irez pas peut-être nager là comme s’il y allait de la vie à gagner le bord ; vous vous tiendrez gravement assis comme tous les nobles de votre âge.

— Sans doute, sans doute, » dit Tchitchikof un peu honteux d’avoir pris devant cet homme des airs de naufragé. Mais il ne put s’empêcher de se coiffer de son chapeau à cornes, et de dire en se mirant toujours : « J’ai, ma foi, l’air d’un général, avec cet uniforme ; ne trouves-tu pas, mon cher ?

— Vous êtes, comme cela, un vrai général.

— Tu trouves ? Et la figure, hein ?

— Tout à fait la figure qui convient à un général, et même pas un simple général.

— Comment ! un simple ? Est-ce qu’il y a plusieurs sortes de généraux.

— En fait de généraux, il y a les Américains, monsieur.

— Quelle folie ! où as-tu pris que nous ayons des généraux américains ?

— On les appelle ainsi.

— Qui est-ce qu’on appelle ainsi ?

— Eh mais, la grandesse, la haute noblesse, les nobles seigneurs propriétaires de beaux domaines.

— Tu mens ; allons, tu es, je le vois, un grand hâbleur.