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quoi désires-tu une charge ?… pour battre monnaie. Ah ! nous savons ; je vais vous atteler des corneilles, moi !

— Drôle d’idée que vous avez de le piquer, messieurs, dit quelqu’un d’un coin de la chambre.

— Ah ! c’est vrai, tu es là, toi, mon petit lapin. Voyons, qu’est-ce qu’il te faudrait bien à toi ? Tu viens de te marier, hein ; et à qui, imbé… ! Tu veux être auditeur. (le prince alla chuchoter à l’oreille de son petit lapin). Tu le veux, eh bien, parle, parle donc ! Tu sais que j’ai passablement de relations, je suis aristo, archi-aristo, tout nu que je puis être ; j’ai mes entrées parfaitement libres chez le gouverneur et chez le maréchal du gouvernement. J’ai où trouver des appuis. Que Barantzof ou un autre me fasse cadeau d’un habit de noblesse, supposons, avec la broderie d’or pur qui convient à mon rang, quel est le général qui aura un plus grand air que moi. Barantzof fait état de moi, et nous logeons ici ensemble, mais ce n’est pas toujours le cas ; j’ai un appartement à moi, à moi seul au reste ; je paye ma foi bien sept roubles pour l’occuper pendant les élections. Barantzof me nourrit ; parbleu, il faut bien que cela soit ; à quoi servirait le bétail ? Moi, dans la route et ici, je n’ai été et ne serai pas une heure à jeun. (Tout bas.) Il veut, figure-toi, être auditeur ou conseiller.

— Encore candidat ! Mais il y a déjà dix-huit ans qu’il ne sort pas des charges.

— Qu’il tienne sa poche bien large ouverte ; je lui ferai provision de noires. Seulement, toi, ne dis rien… tu comprends, ts, ts… Tiens, il faut que je t’embrasse. Sais-tu que ta femme est bien ; moi, la dernière fois, je ne lui ai pas dit ce que je veux. 0uh, ouhh… Je ne sais ce que cet animal de Barantzof nous fait manger, mais j’ai le cœur tout barbouillé. »

Là-dessus le prince sortit et traversa la cour pour gagner la porte de sa remise. Il était vraiment temps, pour le repos des autres gentilshommes, qui, au reste, se retirèrent moins d’un quart d’heure après.

Zajmoûrine se coucha, mais il laissa une chandelle allumée près du lit préparé pour Bourdâkine, son confrère