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nage, et venir de ma personne habiter chez Podgrouzdëf. N’importe, je suis prêt à faire cela pour le seul bonheur de vous témoigner à tous combien je vous suis dévoué. »

En finissant cette tirade, il resta les bras grands ouverts et le corps courbé en avant, attendant une réponse qui n’arrivait pas.

« Nous voulons prier Stépan Stépanovitch de nous rester encore pour trois ans.

— Même sans cuisine ni cuisinier ?

— Au diable le cuisinier ! J’ai mon dîner prêt chez moi.

— Eh bien ! messieurs, dit Hamâzof, il n’y a qu’à élire Mélékichéntsof.

— Non !

— Pourquoi ? Songez que Podgrouzdëf nous fait manger…

— Au ballottage, nous mettrons à droite pour Podgrouzdëf, dirent trois ou quatre personnes à la fois ; il est digne de sa charge et fait honneur à notre district.

— Qui ça ? Podgrouzdëf, dit en entrant Mourzâkine ; eh ! un maréchal est toujours bon et digne. Écoutez, je ne vous cacherai pas qu’on veut m’élire juge, moi qui vous parle ; vous entendez, juge. Voilà ce qu’on peut appeler une charge considérable et sacrée ; je crains d’avoir à juger un noble ; je l’acquitterai, parole d’honneur, je l’acquitterai ; ce sera me mettre la corde au cou, mais tout noble sera acquitté. Au nom de Dieu, ne nous ballottez ni moi ni Zajmoûrine, et si Zajmoûrine ne peut se faire à l’idée de n’être pas ballotté, eh bien, mettez pour lui à gauche, à gauche, je vous en prie.

— Vous défendez bien la cause de votre ami et compagnon de service.

— C’est pour son bien, et puis sa femme m’a parlé. On dit que sa charge actuelle lui a déjà tout à fait dérangé les nerfs, et pour la femme vous concevez… Quant à moi d’abord, je vous dirai sincèrement que, s’il plaît à la noblesse de m’élire juge, bon ; je n’ose pas refuser, je me soumettrai ; disposez de moi enfin. »

Là-dessus ce confrère de Zajmoûrine en édilité et en candidature salua et sortit d’un pas rapide.