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gales.) Cinq mille. Bien, je prends et garde les quatre mille cinq cent cinquante que voici, et qui serviront à payer vos dépenses personnelles et les frais courants de l’affaire ; la police vous en rendra compte toutes les fois que vous le désirerez ; maintenant, les quatre cent cinquante que voici dans le portefeuille, vous voyez, je les remets dans votre valise ; ils seront la somme trouvée à consigner à l’inventaire. Vous me comprenez, j’espère : Son excellence M. le gouverneur militaire ordonne que vous soyez gardé, jusqu’à plus ample informé par la police, et comme la police est dans le bas de ma maison, vous vivrez, s’il vous plaît, chez moi, avec moi et comme moi. »

Ce maire était un homme presque sans fortune, mais il avait de bonnes relations avec toutes les classes de la société. Quand un homme lui faisait l’effet d’être plutôt bon que méchant et qu’il pouvait lui rendre service, il y mettait de l’empressement et beaucoup d’amour-propre ; il avait surtout la passion de l’air comme il faut. Il eut, en cette occasion, en y employant moins de cinq cent cinquante roubles, le bonheur d’arranger à souhait toutes les affaires de son prisonnier, de lui faire, en outre, tirer un fort beau parti des mille âmes mortes qui lui étaient restées en sauvant du même coup de la perte de sa position un brave ingénieur très-compromis. Puis il se réjouit de faire épouser à Tchitchikof sa fille Marie, jeune, fraîche, docile, ignorante, il est vrai, et parfaitement insignifiante ; au demeurant, très-bonne, très-aimante, la meilleure sorte de femme qu’on pût souhaiter à notre héros, et que nous puissions souhaiter à la plupart de nos amis et connaissances.

Un bon tiers de la noblesse du district prit part à la noce, qui dura trois jours sans désemparer, et les nouveaux mariés se retirèrent dans un très-beau et riche domaine qu’acheta Tchitchikof, à quarante-huit kilomètres de la ville, et où, pendant dix années de satisfactions de tout genre, de repos et de vrai bonheur, il vit naître et grandir successivement neuf de ses premiers enfants. Notre héros s’occupa à loisir d’agriculture, de jardinage et même de sylviculture ; il régla avec un soin parfait ses dépenses sur