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ne le laissa partir que sur sa promesse formelle de revenir très-prochainement voir son neveu.

Notre héros se repentit cruellement de la précipitation avec laquelle il quitta ce toit hospitalier, quoiqu’il eût jugé peu prudent, pour le fardeau qu’il emportait, d’user plus longtemps de cette hospitalité. À peine il se fut remis en route que le jour s’obscurcit, le vent s’éleva, d’affreuses rafales de neige tourbillonnèrent ; toute trace de route disparut ; la tempête était d’autant plus redoutable qu’il s’y joignait un froid assez vif.

Les voyageurs, complétement égarés, errèrent ainsi avançant à l’aventure, avec des peines infinies, non sans de fort grands dangers, jusqu’au delà de minuit, quand enfin, au profond désespoir qui commençait à les saisir, succéda une faible lueur d’espérance ; l’ouragan perdit de sa violence, la nuit devint moins impénétrable ; ils crurent voir s’étendre devant eux une clairière entre d’épais taillis, et ils avaient heureusement vent arrière. Ils louvoyèrent dans les vallées que formaient entre elles les mille montagnes de neige élevées tour à tour et dévorées par la tempête ; dans un moment de halte forcée que firent les chevaux qui étaient éreintés de fatigue, ils entendirent un aboiement de chiens ; ce bruit de bon augure redonna, même aux chevaux, un peu de courage, et, cinq minutes plus tard, ils distinguèrent au loin des lumières.

C’était le repos de chasse d’un très-riche seigneur qui s’y trouvait avec un nombre considérable d’amis et de voisins du premier choix. Là était réunie toute sa meute avec tous ses veneurs, un équipage vraiment royal ; on était, dans la pièce principale, à la fin d’un souper copieux et splendide qui se terminait par de larges libations. Ce fut à ce moment que Pâvel Ivanovitch fut annoncé au prince Koutinine comme un voyageur égaré, demandant à son Excellence Sérénissime l’hospitalité pour la nuit. Le prince, occupé de faire promptement dresser quelques tables de jeu, ordonna que l’inconnu eût un bon feu et un bon souper d’abord, et qu’il lui fût ensuite présenté s’il n’aimait mieux aller se coucher.