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du district affamé une somme de près de cent mille roubles qui leur fut distribuée.

Au bout de trois mois, il n’y avait plus un seul de ces vingt-sept fripons dans la ville ; nous ignorons s’il en est depuis venu d’autres à leur place, mais tous durent sortir du gouvernement pour n’y plus reparaître. Quant à M. le jurisconsulte, nous ne savons s’il prit ce parti de lui-même ou d’après quelques indices qui lui avaient conseillé un séjour prolongé dans les environs du lac Baïkal, mais, cinquante jours après le départ de notre héros, l’ex-avocat consultant était installé dans une maisonnette du faubourg oriental d’Irkoutsk. Là, au milieu des jardins, comme Dioclétien dans ceux de Salone après s’être retiré de l’empire, notre juriste déchu, faute d’emploi de ses talents en jurisprudence procédurière, s’occupait innocemment de la culture des légumes et de la confection de vingt espèces de conserves.

Son Excellence M. de Lénitsyne, son épouse et leur gentil enfant partent, dit-on, demain pour Nice, où ils passeront l’hiver.

Khlobouëf, dans sa tournée de pénitence, a élevé son humble mission presque à la hauteur d’une sorte d’apostolat. Il s’est trouvé dans l’esprit de cet homme si longtemps dissipé et frivole, des trésors d’éloquence vraiment évangélique, dont les effets, sur le peuple, passèrent de beaucoup ce que Mourâzof en avait espéré comme d’instinct. M. de Lénitsyne avait racheté le domaine héréditaire de Khlobouëf, qui, sa mission achevée, apprendra que cette terre lui est rendue exempte de toute hypothèque, abondamment approvisionnée d’ustensiles d’agriculture, de semences, de chevaux, de bœufs, de troupeaux, et régie gratuitement, pour un an entier, par un agronome intègre de la connaissance de Mourâzof et de M. Constánjoglo. Et, de plus, il est servi par M. Lénitsyne à Khlobouëf une rente viagère de vingt mille roubles, réversibles, après lui, à sa femme, et, à défaut de lui et de sa femme, à l’aîné de ses enfants.

Mais revenons à notre héros et voyons quelles pensées