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cabinet. Une demi-heure après, il rentra dans la salle, fit recueillir toutes les feuilles par les vétérans chevronnés et décorés de la médaille de Saint-Georges, attachés au service de l’hôtel et des bureaux ; ces feuilles furent réunies dans les mains de Fédor Ivanovitch, et le prince congédia poliment l’assemblée. Tous se retirèrent pensifs ou abattus, et rentrèrent chez eux sans même songer à se questionner, ni à s’interpeller les uns les autres.

Après le dépouillement, qui fut fait par le jeune employé sous les yeux du prince, on mit à part vingt-sept humbles demandes de démission. Une vingt-huitième était, au contraire, écrite avec un noble et profond sentiment de dignité blessée. Elle était d’un haut personnage, qui se fit aussitôt annoncer et qui fut reçu à l’instant même. L’explication et la conduite de ce démissionnaire eurent, en cette occasion, un caractère de loyauté et de retour aux meilleurs sentiments. Le prince lui promit d’apostiller la supplique que d’abord celui-ci devait adresser au souverain pour obtenir son congé ; il s’engagea ensuite à présider en personne le tribunal d’arbitrage dont le personnage venait de lui demander la création immédiate, et devant lequel il voulait terminer honorablement, entre lui et les intéressés, le scandaleux procès qui s’était élevé au sujet des dispositions testamentaires de feu sa parente, la tante de Khlobouëf.

Cette affaire ainsi réglée, le prince écrivit une circulaire dont le soir même des copies furent expédiées pour les vingt-sept misérables de divers rangs, qui avaient été amenés à se reconnaître eux-mêmes coupables au premier chef. Chacun était sommé à part d’examiner s’il ne jugerait pas à propos, en sollicitant un congé qui était au fond un recours en grâce auprès du souverain, d’étayer sa demande au moins d’une sorte d’amende honorable faite au prochain, d’une bonne œuvre quelconque, par exemple d’un don d’argent aux pauvres du district qui souffraient de la disette. Puis, ils devaient déclarer en quel gouvernement de l’Est ils comptaient se retirer avec la simple qualité de bourgeois. Cette circulaire valut aux plus pauvres habitants