Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 2, trad Charrière, 1859.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je m’adresse aujourd’hui à votre conscience, en vous supposant tous capables de vous représenter exactement ce que le devoir sacré exigeait de vous selon votre emploi, et l’usage criminel que vous avez fait de vos talents au lieu d’accomplir saintement ce devoir…

— Eh bien ! messieurs, maintenant, vous plairait-il de me suivre dans la pièce voisine ? »

En disant ces mots, le prince fit un signe aux valets qui se tenaient de l’un et de l’autre côté de l’une des portes du salon, et cette porte fut aussitôt ouverte à deux battants. Il passa dans la plus vaste pièce de sa chancellerie ; l’assemblée entière l’y suivit ; les battants se refermèrent. Cette pièce tout entourée de tables à écrire, recevait le jour d’en haut et avait cinq issues, toutes également closes ; devant chacune se tenaient à l’intérieur deux gendarmes armés et immobiles. Cette circonstance imprévue sembla ajouter à la gravité du langage que l’on venait d’entendre au salon. Une autre particularité attira en outre l’attention générale ; près de chacune des larges tables étaient ordinairement placées quelques chaises ; les chaises, cette fois-ci, étaient considérablement plus nombreuses, et sur les tables, devant chaque chaise, se trouvait une feuille de papier blanc, et sur la feuille une plume fraîchement taillée.

Le prince adressa à l’assemblée ces paroles :

« Messieurs, la prière que j’avais, ai-je dit, à vous adresser, la voici ; veuillez vous asseoir, prendre la plume et exprimer librement sur cette feuille de papier quel est votre avis sur la communication que je viens de vous faire, et dont je suis sûr que vous n’avez pas perdu un mot.

« Vous n’avez pas besoin, pour énoncer votre sentiment sur l’état de choses que je vous ai décrit, et sur le parti qu’il vous semble que je devrais prendre, de plus de vingt minutes de temps ; en tout cas, je désire tenir dans mes mains, dans une demi-heure au plus, les cent soixante-deux feuilles écrites, signées et datées de votre main. »

Après avoir dit ces derniers mots, il passa dans son