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ce gouvernement, celui qui représente parmi vous la personne sacrée du souverain, celui-là même qui tient entre ses mains le sort de plusieurs, et que nulles prières n’ont la force de fléchir, veut bien, lui, de son propre mouvement, vous adresser une prière. Si vous vous y rendez, cette soumission fera de moi votre avocat ; c’est moi, moi-même, qui solliciterai votre grâce, moi qui demanderai que tout soit oublié et pardonné par la clémence et la miséricorde souveraines. Je vous dirai tout à l’heure ce que je me propose par cette prière ; j’ai encore à insister et à m’expliquer sur quelques faits d’une observation générale et à ce propos, vous verrez que je me fais peu d’illusion.

« Je sais qu’on ne peut en un jour, ni en un mois, ni en quelques années, extirper l’esprit de fourbe et de mensonge ; terreurs, châtiments exemplaires, rigueurs extraordinaires, rien n’y fait. Cet esprit a poussé dans la terre des racines trop profondes. La simonie est devenue une nécessité, une sorte de besoin impérieux, même dans ceux qui semblaient nés pour être et rester honnêtes gens. Je sais combien cette contagion leur rend impossible la tâche de résister au courant. Mais nous sommes dans des conjonctures solennelles et saintes, où il s’agit d’achever ce qu’on a vu déjà s’accomplir pendant plusieurs années d’une guerre cruelle, lorsqu’il fallait sauver la patrie, et que chaque citoyen honorable apportait une offrande au profit de tous. Comme alors je dois faire appel de très-haut à ceux du moins qui ont encore un vrai cœur russe dans la poitrine, et pour qui le mot Noblesse est resté à peu près intelligible dans sa véritable acception.

« Loin de m’excepter moi-même, et au risque de vous surprendre, mais qu’importe, je vous ferai ma confession. Peut-être de nous tous ici c’est moi qui suis le plus coupable ; peut-être, dès le commencement de mon séjour, je vous ai accueillis avec trop de sévérité ; peut-être, par une défiance excessive, j’ai repoussé ceux d’entre vous qui voulaient sincèrement m’être utiles. Si en effet ceux-là étaient amis de la justice et voulaient me seconder pour as-