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diant pour l’Église, de village en village, questionné, questionnant, et déjà se complaisant dans sa rude et pieuse mission d’éclairer les ignorants sur leur devoir et leur intérêt véritable, tout en prenant bonne note de leurs besoins et de leurs souffrances.

Cependant le général gouverneur fit porter à la signature de tous les fonctionnaires et employés de la ville une circulaire déclarant qu’à l’occasion de son prochain départ pour Saint-Pétersbourg, il désirait les voir tous ensemble dans la grande salle de son hôtel, à deux heures de l’après-midi.

En effet, à l’heure indiquée, toute la classe des fonctionnaires, depuis le gouverneur civil jusqu’aux simples conseillers titulaires, se trouva réunie chez le prince. Directeurs de chancellerie, chefs de division, chefs de bureau, présidents de chambre, conseillers, assesseurs ou auditeurs, greffiers, sous-greffiers, caissiers, expéditeurs, ceux qui prenaient des étrennes, ceux qui n’en prenaient pas, ceux dont l’âme était tournée en crochet, ceux qui étaient moins retors, ceux qui étaient restés droits, tous attendaient avec plus ou moins d’émotion et d’inquiétude l’apparition du haut personnage qui les avait convoqués. Le prince parut ; son air n’était ni serein ni sombre ; son regard était ferme, ainsi que sa démarche. Tout le monde s’inclina, plusieurs de tout le buste. Le prince, après avoir rendu à l’assemblée sa politesse par un salut général plein de dignité, prit la parole et dit :

« Je pars pour Pétersbourg. Avant de me mettre en route, j’ai cru devoir vous réunir, et en voici la raison : il s’est engagé ici une affaire très-scandaleuse ; plusieurs des personnes présentes savent certainement de quoi il s’agit. Cette affaire, par sa complication extraordinaire, a mis la justice sur la voie de plusieurs autres non moins ignominieuses, où l’on rencontre manifestement la main et l’esprit d’hommes que, quant à moi, jusqu’à cette découverte, j’avais pris pour de fort honnêtes gens. Le but secret de leur intrigue était de mêler, de confondre ensemble dix affaires distinctes, de jeter dans ce mélange une foule d’élé-